1885, Conférence internationale antiesclavagiste de Berlin : le roi des Belges, Léopold II, souhaite se constituer un domaine personnel en Afrique centrale et demande aux puissances européennes de lui laisser réaliser son projet sous couvert de la lutte contre l’esclavagisme « arabe » (en réalité, cet esclavage était pratiqué par des Noirs de l’Afrique de l’Est qui n’étaient « arabes » que par la religion qu’ils étaient censés pratiquer, l’islam) et de la libération des pauvres Noirs (qui allaient être exploités par Léopold II). Les puissances européennes (Prusse, Grande-Bretagne, France, Portugal) accordèrent à Léopold II le droit de créer son « État Indépendant du Congo », à certaines conditions économiques, politiques et religieuses. La condition qui nous intéresse ici est que les missions religieuses chrétiennes (aussi bien catholiques que protestantes) émanant de tous les pays « civilisés » (c’est-à-dire européens) devaient avoir accès librement à cet État indépendant du Congo : c’est ainsi que des missions protestantes non belges (anglaises, allemandes et scandinaves) ont pu s’implanter au Congo.
1908, reprise de l’État indépendant du Congo par la Belgique sous la forme d’une colonie (le Congo belge) : pour éviter les problèmes avec les puissances européennes, la Belgique se soumet aux mêmes obligations que l’État indépendant du Congo : les missionnaires non belges (essentiellement protestants) continuent donc d’entrer au Congo. La coexistence entre les missions de confessions différentes fut généralement pacifique, mais un événement va modifier la situation : à partir de 1947, les Américains vont créer des Missions nouvelles, et leur présence donne du souci aux autorités coloniales, qui soupçonnent ces Missions de véhiculer un esprit pro-américain et peut-être anticolonial. Comme il était impossible d’empêcher ces nouveaux arrivants de créer leurs Missions, d’autant plus que les États-Unis avaient libéré la Belgique du joug nazi, les autorités belges ont eu recours à une astuce juridique (1) : on continuait à autoriser l’accès de la Colonie aux missionnaires non belges, mais à condition qu’ils suivent pendant un an, en Belgique, une formation comportant, outre l’apprentissage de la langue française, la connaissance de la juridiction coloniale, des notions d’hygiène tropicale, des notions de psychologie et de culture africaines, de certaines langues africaines et … l’histoire de la Belgique. Après un an de formation en Belgique, ces missionnaires étaient censés avoir acquis l’esprit belge et pouvaient commencer leur mission. L’organisme chargé de cette formation, créé en 1947, s’appelait sans ambiguïté École coloniale et était placé directement sous l’autorité du Ministre des Colonies.
1960 : indépendance du Congo. Théoriquement, l’École coloniale aurait dû disparaître, mais le Ministre chargé des affaires africaines (relations avec le Congo, tutelle sur le Rwanda et le Burundi jusqu’en 1962), puis ensuite de la coopération au développement, n’a pas jugé bon de supprimer cette école et c’est en … 1969, soit neuf ans après l’indépendance du Congo et 7 ans après celle du Rwanda et du Burundi, que la Cour des Comptes s’est aperçue qu’une étrange école formait, aux frais de l’État belge, des missionnaires étrangers qui se destinaient à aller concurrencer la coopération belge dans les régions où la Belgique avait encore des intérêts économiques ou moraux ! L’école ex-coloniale fut donc fermée immédiatement après le rapport de la Cour des Comptes. Mais entre-temps, les missionnaires protestants avaient pris goût à la formation linguistique donnée à l’École coloniale : ils obtinrent le droit de continuer à suivre leurs cours de français (et, pendant deux ans, de swahili) dans les mêmes locaux que l’ancienne École coloniale, avec certains anciens professeurs de cette école, mais à leurs propres frais. C’est le BEMPAC (Bureau des Églises et Missions Protestantes en Afrique Centrale) qui assurait le paiement des professeurs de cette école, devenue privée. Cela ne dura qu’un an, pendant l’année scolaire 1969/1970. Cette année-là, j’ai été engagé comme professeur dans cette école privée.
1970 : l’IFCAD intervient enfin. Grâce à l’appui politique du Ministre des Affaires Étrangères et de la Coopération au Développement Paul-Henri SPAAK, l’IFCAD occupait gratuitement des locaux de l’ancien Ministère des Colonies, ceux où, précédemment, avait vécu l’École Coloniale. Les dirigeants de l’IFCAD prirent connaissance de l’existence de l’école privée de langue française pour les missionnaires étrangers, cherchèrent à l’intégrer à l’IFCAD et se chargèrent de la faire reconnaître et subventionner par le Ministère de l’Éducation nationale. Ce travail administratif, pédagogique et politique fut l’œuvre de Monsieur Jean Hoebeke, directeur d’école technique, qui avait été détaché (2) de son poste pour accomplir cette mission au sein de l’IFCAD. Au bout d’un an de démarches, la section « langues modernes (3) » fut admise aux subventions par le Ministère de l’Éducation nationale, mais sous certaines conditions : il fallait que l’école soit ouverte à d’autres personnes que les missionnaires (sans quoi, la Cour des Comptes aurait eu une attaque cardiaque en apprenant que l’État recommençait à subventionner une école de missionnaires étrangers!), qu’elle accepte l’inspection pédagogique de l’État et se soumettre aux exigences administratives de l’Enseignement de Promotion sociale. L’année scolaire 1970/1971 a été considérée comme probatoire et l’admission définitive aux subventions a été accordés à l’IFCAD – « langue française » à partir du 1er septembre 1971.
Les cours de français se sont donnés dans les locaux de l’ancien Ministère des Colonies, propriété de l’État, au 185 avenue Louise à Bruxelles : Bâtiment prestigieux qui abrite aujourd’hui une partie de l’administration de la Région bruxelloise.
Le directeur, Monsieur Jean Hoebeke, a organisé les cours de telle sorte que les étudiants bénéficient du maximum d’heures de cours par semaine, quoique à l’époque l’enseignement de promotion sociale ne pouvait pas de donner à raison de plus de 12 heures par semaine, il avait obtenu, par dérogation, d’organiser des cours de 18 heures par semaine. Les classes étaient surchargées, mais les étudiants bénéficiaient de plus d’heures de laboratoire de langue par demi classes. Cette époque a vu défiler quantité d’élèves de qualité, très motivés. Certains étaient missionnaires (les catholiques sont arrivés un peu plus tard que les protestants), d’autres « futurs » étudiants (apprenant le français avant d’entamer leurs études dans l’enseignement supérieur), d’autres enfin étaient des résidents fraîchement arrivés en Belgique (appartenant au monde diplomatique ou au monde des affaires).
Pendant cette période, plusieurs professeurs – qui travaillent encore aujourd’hui à l’IFCAD – ont été engagés : ils constituent aujourd’hui encore la base « historique » du personnel enseignant.
Mais des nuages noirs allaient s’amonceler sur l’IFCAD : les gestionnaires du 185 avenue Louise, bâtiment de l’État, lesquels appartenaient traditionnellement à la mouvance social – chrétienne, voyaient d’un mauvais œil qu’une association essentiellement socialiste bénéficie gratuitement des bâtiments publics (avec le chauffage et les services du personnel d’entretien!) et refuse obstinément d’admettre en son sein les représentants d’autres courants de pensée que ceux de la gauche laïque. ils firent pression pour que l’IFCAD quitte les locaux qui lui avaient été si généreusement mis à disposition. Un arrêté ministériel de l’Administration de la Coopération au Développement ordonna à l’IFCAD de déguerpir pour le 1er janvier 1977. Le déménagement eut lieu pendant les vacances de Noël, et les étudiants eurent la surprise de trouver de nouveaux locaux au 57 avenue Legrand. Disons-le clairement, la situation de l’école était bien plus confortable avant le 1er janvier 1977 : il y avait deux locaux de laboratoire, il n’y en avait plus qu’un ; il y avait une cafétaria dont la surface était deux fois plus grande que celle d’aujourd’hui ; il y avait une telle quantité de bureaux vides qu’on aurait pu en donner un à chaque professeur !
Mais l’IFCAD allait être maître de sa destinée : le bâtiment du 57 avenue Legrand a, en effet, été acheté par l’association avec un prêt s’étendant sur 20 ans. Celui-ci est honoré depuis décembre 1997 et donc l’IFCAD est pleinement propriétaire de ce bâtiment et ne doit rien à personne : l’indépendance, à tout prendre, est plus intéressante que l’angoisse de se faire mettre dehors !
Cet épisode a été durement vécu par le directeur et les membres du personnel enseignant, quant aux étudiants, heureusement, ils ont manifesté une faculté d’adaptation particulièrement remarquable, et l’année scolaire 1976/1977 s’est terminée dans la bonne humeur. Comme Monsieur Hoebeke allait atteindre la limite d’âge, il m’a demandé de lui succéder à la direction de la section. C’est ainsi que le 1er septembre, j’ai pris le relais d’une direction particulièrement remarquable.
La structure des cours est restée la même (18 heures par semaine pour les débutants, 12 heures pour les plus avancés ; ouverture en février d’une nouvelle session destinée aux débutants) pendant de nombreuses années. Mais les restrictions budgétaires de l’enseignement de promotion sociale ont forcée l’école à concentrer ses cours sur le système actuel : 15 heures par semaine pour tous les niveaux.
La population scolaire, elle aussi, a fortement évolué : les missionnaires ont tout à fait disparu, les futurs étudiants sont moins nombreux qu’anciennement (politique très restrictives de l’Office des Étrangers) : le public nouveau comporte plus de résidents, et parmi ceux-ci, les réfugiés occupent une forte proportion.
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